Rene Hardy. La siderurgie dans le monde rural: les hauts fourneaux du QuÖ©bec au XIXe siÖ¨cle. Quebec: Les Presses de l'UniversitÖ© Laval, 1995. xi + 303 pp. ISBN 978-2-7637-7418-3.
Reviewed by Jean Martin (Independant Historian)
Published on H-Canada (April, 1997)
Ce livre, de l'aveu meme de l'auteur, vient tenter de combler un vide historiographique. Il n'existe en effet qu'un assez petit nombre d'ouvrages qui s'interessent a l'histoire de la siderurgie, ou meme a celle de l'industrie quebecoise prise dans son ensemble. L'historiographie recente a fait bien peu de place a l'etude du developpement industriel depuis les travaux d'Albert Faucher, il y a deja un quart de siecle, et il faut d'abord se rejouir de la hardiesse dont l'auteur a fait preuve en s'aventurant sur un terrain aussi faiblement balise.
Dans son introduction, Rene Hardy insiste particulierement sur les raisons qui expliqueraient la disparition, au tournant du XXe siecle, "d'un reseau de plusieurs hauts fourneaux qui firent du centre du Quebec l'une des principales regions productrices de fer et de fonte au Canada" (p. 1). L'incapacite des entreprises quebecoises a remplacer le charbon de bois par le coke comme combustible se trouve au coeur du declin des hauts fourneaux de la province. L'auteur met en parallele les theses d'Albert Faucher (Quebec en Amerique au XIXe siecle, Montreal, Fides, 1973) et de Kris Inwood (The Canadian Charcoal Industry, 1870-1914, New York, Garland Publishing, 1986) pour expliquer le deplacement de la production canadienne du Quebec vers l'Ontario; la premiere met l'accent sur les facteurs classiques de localisation industrielle, particulierement celui de la proximite avec le marche, alors que la seconde insiste davantage sur l'incapacite de l'industrie quebecoise a s'adapter aux changements technologiques.
La demonstration de Hardy s'elabore ensuite au fil de six (6) chapitres d'importance et, malheureusement aussi, d'interet inegaux. Le premier chapitre (9-44) est consacre a une revue de l'evolution des techniques de production utilisees depuis l'antiquite jusqu'a la Premiere Guerre mondiale. Dans le second chapitre, redige en collaboration avec Benoit Gauthier, on trouve un portrait de l'industrie siderurgique canadienne au XIXe siecle. La situation quebecoise est finalement abordee dans les chapitres 3 et 4, mais c'est vraiment a partir du chapitre 5 que l'on entre dans le vif du sujet qui est celui de l'integration de l'industrie siderurgique dans le monde rural quebecois; le sixieme et dernier chapitre reprend meme integralement le titre general de l'ouvrage (La siderurgie dans le monde rural ).
Hardy montre comment, au milieu du XIXe siecle, la presence de fer des marais (limonite) dans plusieurs secteurs du centre du Quebec a pu soutenir le developpement d'un reseau de hauts fourneaux destines a combler les besoins nes de l'industrialisation massive du pays. La fonte representait la principale production de ces usines, un materiau particulierement recherche pour la construction des chemins de fer et pour la fabrication des chaudieres et autres mecanismes associes aux machines a vapeur. Apres une periode de croissance, qui correspond a la grande epoque du developpement du reseau ferroviaire canadien, la siderurgie quebecoise se voit rapidement supplantee par les nouvelles usines de l'Ontario et des Etats-Unis, mieux integrees a la structure industrielle nordamericaine. En 1911, avec la fermeture de la Canadian Iron Furnace de Drummondville, s'eteignait finalement le dernier haut fourneaux au charbon de bois du Quebec.
L'objectif premier de ce livre, qui est celui de combler un vide dans l'historiographie quebecoise, est certainement atteint s'il s'agissait d'attirer l'attention sur une industrie dont l'importance depasse largement le cadre presque folklorique dans lequel on a trop souvent eu tendance a la releguer. Hardy montre bien avec quelle ambition, qui n'excluait pas certaines faiblesses d'organisation, les hauts fourneaux ont ete eriges dans la partie centrale du Quebec pendant la seconde moitie du XIXe siecle. Les entrepreneurs sont nombreux a miser sur le potentiel minier de la region et c'est l'un des merites du livre que de bien guider le lecteur a travers le jeu passablement complexe des acquisitions, des alliances, des recherches laborieuses de financement et des disparitions successives d'entreprises. L'auteur se montre particulierement perspicace dans la presentation qu'il fait des nombreux groupes et individus engages dans la gestion des entreprises mauriciennes pendant les annees 1870 et 1880 (pp. 83-88).
La description de l'evolution technologique de l'industrie est un autre des points forts de ce livre. Les problemes lies aux divers types de combustibles et matieres premieres utilises, les bouleversements provoques par la diffusion du procede Bessemer pour la fabrication de l'acier et l'incapacite de la siderurgie quebecoise a s'adapter a toutes ces transformations sont tres clairement expliques. Le chapitre 5 sur l'acces aux ressources (pp. 143-93) est tout particulierement interessant en ce qu'il fournit une excellente description des problemes lies au controle, a l'extraction et au transport des matieres premieres.
Tous les aspects de l'industrie ne sont malheureusement pas traites avec le meme soin ni la meme profondeur. Les questions de main-d'oeuvre, par exemple, malgre quelques pages tres interessantes sur la "dequalification du travail siderurgique" (pp. 204-16), recoivent trop peu d'attention dans une etude qui cherche a expliquer les mecanismes d'integration d'une industrie au monde rural. La meme faiblesse doit etre signalee pour ce qui a trait au probleme de l'integration au marche ou meme pour ce qui est de la presentation du contexte general du Quebec de la fin du XIXe siecle, tout autant que celui de l'economie nordamericaine. En fait, malgre ses qualites et son interet indeniables, le livre de Hardy souffre de quelques problemes d'organisation et d'equilibre.
Le premier chapitre, consacre a "la revolution metallurgique", est beaucoup trop long et d'une lecture souvent fastidieuse. On pourrait d'ailleurs en dire presque autant des trois chapitres suivants qui sont reserves a la presentation de l'evolution generale de la siderurgie canadienne et quebecoise. Les principaux elements sont bien la, mais on arrive assez difficilement a se situer dans cette longue description qui prend davantage l'allure d'une galerie de portraits distincts plutot que celle d'un veritable tableau d'ensemble. Un exemple: parmi les six entreprises qui sont presentees au chapitre 3, ce sont les Forges Grondin, qualifiees par l'auteur d'echec cuisant (p. 108), qui occupent le plus d'espace, les douze pages qui lui sont consacrees representant le double de ce qui est attribue en moyenne a chacun des cinq autres etablissements, dont plusieurs ont pourtant eu une existence beaucoup plus longue.
Cette difficulte de pouvoir toujours bien se situer dans le temps comme dans l'espace s'installe comme un malaise croissant au fur et a mesure que la lecture progresse. Puisque ce livre s'inscrit dans une collection intitulee "Geographie historique", je m'etais attendu a y trouver une preoccupation beaucoup plus prononcee pour les questions d'espace. J'aurais a tout le moins espere pouvoir compter sur un materiel cartographique de bien meilleure qualite pour appuyer la demonstration de l'auteur. Il y a six (6) cartes dans le livre, un nombre assez modeste, mais le probleme n'en est pas un de quantite. Le probleme, c'est que chacune de ces six cartes souffre de serieux defauts de conception et de presentation qui nuisent considerablement a la comprehension du message qu'elles sont sensees aider a expliquer.
D'abord, aucune d'elles ne comprend de date et il n'y a aucune indication qui permette de situer dans le temps chacun des divers elements qui s'y trouvent regroupes comme s'ils etaient tout a fait contemporains, meme lorsque ce n'est pas du tout le cas (voir par exemple la carte de la page 87). Il n'y a aucune carte non plus qui permette de situer l'aire d'etude dans un cadre spatial plus large. Le nom des principaux cours d'eau, le Saint-Laurent mis a part, n'apparait nulle part et il n'y a aucune limite administrative (cantons, municipalites, paroisses) d'indiquee; il faut malheureusement etre deja familier avec la region pour pouvoir bien suivre la demonstration. Autre difficulte: a la carte de la page 158, il est tres difficile de distinguer entre les differents tons de gris utilises pour identifier les proprietaires de terrains. A la page 74, une autre carte porte une curieuse echelle de 105,8 kilometres; pourquoi ne pas l'avoir legerement reduite pour la ramener a la longueur plus conventionnelle de 100 kilometres?
Il y a les cartes, mais il y a aussi cette tres faible preoccupation pour les questions spatiales qui me font voir ce livre comme une bonne etude d'histoire economique, un domaine qui n'a pourtant pas ete trop frequente au cours des dernieres decennies au Quebec, et je m'explique mal les raisons qui ont pu amener cet ouvrage a s'inscrire dans le cadre d'une collection qui pretend privilegier une approche geographique. Je ne blamerai certainement pas Rene Hardy d'etre meilleur historien que geographe, mais je m'interroge sur le bien fonde d'accoler une etiquette de geographie historique a une etude plutot classique sur l'histoire d'une activite industrielle.
En fait, si je reconnais l'interet et la valeur du travail de Rene Hardy, j'entretiens certaines reserves quant a la qualite du volume qui nous est presente. Outre les problemes qui viennent d'etre signales concernant les cartes, il y a d'autres faiblesses dans la revision de l'ouvrage qui auraient pu etre corrigees: des tournures de phrases, certaines expressions qui sonnent curieusement, la pietre qualite de certaines presentation (voir par exemple l'encadre des pages 101 et 102 qui aurait pu etre ramene sur une seule page), le tres petit nombre de tableaux qui auraient pu servir a regrouper davantage les donnees presentees dans le texte, etc. Je dirais qu'il s'agit en fait d'une bonne etude, tout a fait pertinente, dans un livre qui a probablement ete fait trop vite. Dans ses remerciements, l'auteur nous apprend que son ouvrage "fut concu comme la synthese des rapports de recherche produits annuellement sous (sa) direction, de 1985 a 1989" (p. xi); la qualite et l'interet de la recherche y sont tres certainement, mais il me semble que l'effort de synthese aurait pu etre pousse un peu plus loin et que la presentation aurait pu etre soignee davantage.
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Citation:
Jean Martin. Review of Hardy, Rene, La siderurgie dans le monde rural: les hauts fourneaux du QuÖ©bec au XIXe siÖ¨cle.
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