FranÖ§ois Walter. La Suisse urbaine, 1750-1950. Carouge-GenÖ¨ve: Editions ZoÖ©, 1994. 453 pp. Sfr 45,50 (cloth), ISBN 978-2-88182-220-9.
Reviewed by Bruno Dumons (Centre National de la Recherche Scientifique)
Published on H-Urban (January, 1997)
La nation helvetique vehicule de nombreux stereotypes et en particulier sur son milieu naturel, avec l'image de la Suisse comme un pays essentiellement montagnard et rural. Face a ce type de representation, Francois Walter, professeur d'histoire contemporaine a l'Universite de Geneve, s'etait deja interroge dans un precedent livre sur la construction de ce referent helvetique (Les Suisses et l'environnement. Une histoire du rapport a la nature du XVIIIe siecle a nos jours, Geneve, Zoe, 1990). C'est dans cet ouvrage novateur qu'il abordait pour la premiere fois une autre image de la Suisse, celle plus meconnue d'une nation engagee precocement dans la voie de l'industrialisation et de l'urbanisation. En creusant toujours plus profondement ce sillon, Francois Walter nous offre ici une importante contribution d'histoire urbaine. Il est notable qu'elle concerne un "petit" pays, de ceux qui sont souvent absents dans les syntheses d'histoire urbaine. Voyez par exemple l'index de La formation de l'Europe urbaine, 1000-1950 de Paul Hohenberg et Lynn Hollen-Lees (Perrin, 1992; Harvard University Press, 1985): 4 entrees pour la Suisse, comme pour le Danemark (c'est moins que pour n'importe quelle grande ville de France, d'Allemagne des Pays Bas ou d'Angleterre), 1 pour la Grece, aucune pour la Finlande. Le livre de Francois Walter est donc particulierement rejouissant.
Son projet, inspire des travaux de Bernard Lepetit (notamment Les villes dans la France moderne, Paris, Albin Michel, 1988), s'inscrit dans une "histoire de la pratique que les societes ont de leur territoire" (p. 446), dans les perspectives deja entrevues avec l'ouvrage que Francois Walter avait dirige en 1988 (Vivre et imaginer la ville XVIIIe-XIXe siecles, Geneve, Zoe, 1988). Cette fois, il vise a elaborer une synthese de toutes les recherches qui abordent de pres ou de loin l'histoire urbaine helvetique, sur un temps long de deux siecles entre le milieu du XVIIIe et celui du XXe, permettant ainsi d'outrepasser les cesures des revolutions et des guerres. Son approche considere alors la ville non plus comme un "espace-pretexte" mais selon une approche qui l'apparente a un "espace-probleme". De la, Francois Walter envisage son ouvrage de synthese a partir de la reflexion du "fait urbain" initiee par Fernand Braudel, approche qui privilegie une vision en termes d'armatures et de reseaux, de rythmes d'urbanisation mais aussi de fonctions economiques. Ici, priment les villes de la rente fonciere et du pouvoir administratif comme Berne, Coire, Fribourg, Sion et Soleure mais il y a aussi les cites-textiles (Saint-Gall, Glaris) et horlogeres (La Chaux-de-Fonds), reliees entre elles par un tres dense maillage de voies ferrees a l'image des villes tessinoises de Bellinzone, Locarno et Lugano. Quant aux villes qui connaissent une forte croissance, se distinguent parmi les plus dynamiques Zurich, Bale et Geneve, soutenues a la fois par les activites de la banque et de l'electricite.
Dans une deuxieme partie, Francois Walter s'interesse a la ville comme espace social et espace vecu, amenant la construction de multiples representations et suscitant des phenomenes de segregations. La ville devient alors un lieu d'enjeu et de pouvoir ou s'exacerbent les antagonismes et les tensions politiques qu'illustre l'effervescence des corteges et des manifestations. La question du logement figure egalement comme un enjeu majeur, notamment dans des villes importantes comme Zurich et Geneve ou l'immigration du debut du XXe siecle vient accentuer une situation deja difficile. Enfin, la ville comme espace vecu suscite des comportements culturels specifiques, a la connotation positive autant que negative, qu'il s'agisse de la recherche d'un bien-etre materiel ordonne autour de l'hygiene, l'eau courante et l'eclairage, de l'aspiration a des pratiques bibliophiles, theatrales et de divertissements varies, du bouillonnement des sociabilites associatives, des fetes et des manifestations sportives mais aussi du developpement des lieux de perdition melant la misere, la prostitution et le crime.
Dans un dernier temps, Francois Walter s'interroge sur les manieres de gerer l'espace urbain a partir des contraintes hygienistes et stylistiques. Se developpent alors une gestion du sol urbain dans les grandes cites, mais egalement dans des villes moins importantes comme Lausanne, Sion ou Aarau, a partir de politiques urbanistiques concues autour de codifications traditionnelles et de nouveaux plans d'amenagements suscitant l'apparition d'experts et de lieux de formations specifiques comme l'Ecole Polytechnique Federale de Zurich. Il s'ensuit une certaine competition entre villes sur les questions de voirie mais aussi de lutte contre la misere et le chomage.
Tributaire de l'etat actuel de la recherche urbaine, Francois Walter nous offre donc une synthese particulierement fouillee de la Suisse urbaine entre 1750 et 1950, dotee d'une tres riche bibliographie. Parti d'une clef d'entree qui est celle de la ville et son territoire, l'auteur nous entraine dans les logiques complexes de la construction de l'espace urbain avec une grande rigueur methodologique et chronologique. Cependant, l'approche des groupes sociaux dans la ville est mise quelque peu sous l'eteignoir au profit de thematiques diverses comme le logement ou le socialisme municipal. Enfin, s'il fallait exprimer un regret dans cette lecture passionnante de la Suisse urbaine, ce serait a propos de l'histoire politique des villes. Certes, l'examen des politiques municipales est largement aborde, mais davantage sur le plan urbanistique que social, culturel ou educatif. Peu de choses par contre sont dites sur les administrations municipales ainsi que leurs elus et leurs hauts fonctionnaires, ces elites qui ont en charge l'organisation et la gestion de la cite qu'ils s'agisse des maires, des conservateurs du patrimoine, des bibliothecaires, des responsables financiers et administratifs.... Ce n'est la qu'une invitation a de nouvelles recherches dans ce domaine si foisonnant de l'histoire urbaine d'une Suisse que l'on avait l'habitude de croire si rurale. Francois Walter aura eu le merite de nous demontrer le contraire.
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Citation:
Bruno Dumons. Review of Walter, FranÖ§ois, La Suisse urbaine, 1750-1950.
H-Urban, H-Net Reviews.
January, 1997.
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