Jose E. Igartua. Arvida au Saguenay: Naissance d'une Ville Industrielle. Toronto: McGill-Queen's University Press, 1996. 288 pp. $95.00 (cloth), ISBN 978-0-7735-1377-8; $37.95 (paper), ISBN 978-0-7735-1378-5.
Reviewed by Dany Cote (historien)
Published on H-Canada (May, 2000)
L'etude des villes de compagnie canadiennes et quebecoises est relativement plus avancee chez les Anglophones que chez les Francophones. Pour s'en assurer, il suffit de consulter les livres de references et les bibliographies sur le sujet. C'est pourquoi une nouvelle etude sur ce theme en francais est toujours la bienvenue. Enseignant a l'Universite du Quebec a Montreal depuis plusieurs annees, apres un sejour a l'Universite du Quebec a Chicoutimi, Josee E. Igartua est un habitue de ces zones urbaines particulieres. Deja a Chicoutimi, Igartua avait debute l'etude de la ville d'Arvida, une agglomeration independante, fiere et magnifique, avec son architecture et son amenagement urbain particuliers. Il faut noter qu'aujourd'hui, Arvida est devenue un quartier de la ville de Jonquiere, depuis la fusion de 1975.
Avec Arvida au Saguenay: naissance d'une ville industrielle, Jose E. Igartua entend reconstituer l'histoire de la creation d'Arvida et surtout du developpement de sa communaute ouvriere. En effet, cette nouvelle agglomeration, batie de toutes pieces en meme temps que l'aluminerie d'Alcan, devait accueillir les travailleurs et les cadres de l'usine en construction.
Pour ce faire, l'auteur a divise son ouvre en huit chapitres. Le premier met en contexte la naissance d'Arvida, laquelle est directement liee a la premiere etape du developpement du formidable potentiel hydroelectrique de la riviere Saguenay. C'est en effet la construction de la centrale d'Isle-Maligne, par les hommes d'affaires J. B. Duke et Sir William Price, qui permettra l'implantation au Saguenay de l'industrie de l'aluminium, un secteur de production tres energivore. Dans le chapitre 2, Igartua explique la naissance qu'on pourrait qualifier de fulgurante de la ville, a partir de 1925. Elle est implantee sur un vaste terrain situe strategiquement sur un plateau, entre Jonquiere et Chicoutimi. Elle se trouve de plus a proximite d'un important port de mer (Port-Alfred) et d'une immense chute d'eau qui sera developpee au cours des annees suivantes (la future centrale de Chute-a-Caron). La nouvelle municipalite deviendra rapidement une ville moderne, grace a un plan d'urbanisme novateur. Quant a sa population, elle developpera rapidement une riche vie sociale, culturelle et sportive.
On retrouve donc, dans les deux premiers chapitres, une histoire classique d'Arvida. Meme s'il s'agit d'une premiere veritable synthese historique sur les débuts de la ville, l'auteur ne presente pas vraiment de donnees nouvelles aux habitues de l'histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Il en va cependant tout autrement dans les chapitres suivants, qui portent davantage sur la population ouvriere. Les chapitres trois et quatre illustrent la venue de centaines, puis de milliers de travailleurs a Arvida, attires par le developpement de l'aluminerie. Beaucoup ne sont pas originaires du Saguenay-Lac-Saint-Jean, mais de l'Europe de l'Est et de l'Ouest. En effet, les gens du Saguenay-Lac-Saint-Jean ne sont pas encore habitues aux rudes conditions du travail en usine a l'epoque, particulierement a celles qui regnent dans une aluminerie. Chaleur, emanations de gaz et efforts physiques intenses et soutenus sont le lot des travailleurs des salles de cuves. Il n'est donc pas etonnant d'apprendre que le roulement de la main-d'ouvre etait tres eleve, ce qui exigeait des pratiques particulieres d'embauches de la part de la compagnie. Sans tomber dans la presentation de statistiques tres elaborees, Igartua decortique d'une facon chirurgicale, tout au long de sa presentation, les donnees relatives a une main-d'ouvre mouvante et heterogene.
Le milieu urbain d'Arvida correspond bien a la definition d'une ville de compagnie. Les cadres et les travailleurs sont concentres dans deux quartiers distincts, qui comptent en tout pres de 300 nouvelles residences de factures differentes. Le premier quartier, situe loin de l'usine, abrite des immeubles magnifiques. C'est ce qu'on appelle dans la region du Saguenay-Lac-Saint-Jean le " quartier des Anglais ". L'auteur fera cependant remarquer avec justesse que le clivage entre les deux zones n'est pas si clair que dans d'autres villes du genre, pour toutes sortes de raison.
Dans la derniere partie, Igartua illustre la naissance du syndicalisme aux usines d'Arvida. Il rappelle d'abord que la region du Saguenay-Lac-Saint-Jean peut etre considere comme l'un des berceaux de ce mouvement au Quebec, notamment dans le secteur de la production des pates et papiers. A l'usine d'Arvida, malgre les conditions de travail execrables, une premiere convention collective est signee en 1937 seulement, soit pres de douze ans apres l'ouverture de l'usine. Des disparites evidentes et de fortes tensions a l'interieur de l'aluminerie menent cependant a la greve de 1941. Ce conflit de travail prendra des proportions nationales car l'usine d'Arvida fournit une importante production de guerre. Les medias provinciaux et nationaux feront grand etat du conflit, surtout avec les remontrances a repetition faites par certains membres du gouvernement federal. On assistera en fait a une veritable guerre par medias interposes entre les dirigeants politiques et syndicaux de la province de Quebec. Ces derniers tenteront tant bien que mal de contrecarrer les manchettes quelques peu exagerees de certains journaux anglophones. En conclusion, Igartua note qu'il s'agit presque d'une reprise du conflit survenu au cours de la Premiere Guerre mondiale a propos de la conscription.
On retrouve egalement deux annexes dans le livre : la premiere permet de connaitre la methode d'analyse statistique utilisee, tandis que l'autre explique le jumelage effectue entre les registres d'etat civil et les dossiers des travailleurs d'Alcan concernes. Sur ces deux points, il faut donner credit a l'auteur qui a su remarquablement utiliser, tout au long de son ouvrage, les nombreuses sources, dont plusieurs inedites, qui etaient disponibles. Citons en particulier les archives de la compagnie Alcan, dont les fiches d'embauche, riches en renseignements de toutes sortes, les archives municipales et les donnees du fichier de population de l'Institut interuniversitaire de recherches sur les populations (IREP).
Arvida au Saguenay illustre bien une chose evidente depuis toujours dans la region du Saguenay-Lac-Saint-Jean : le developpement industriel, urbain et economique de certaines villes, pour ne pas dire de toute la region, a ete longtemps dependant des capitaux etrangers. La venue d'Alcoa, devenue par la suite Alcan, est directement liee a la presence d'un immense potentiel hydroelectrique et d'une main-d'¦uvre a bon marche et docile. La naissance d'Arvida, en tant qu'entite urbaine dans les annees 1920, a permis la realisation d'une ville qui reste encore aujourd'hui un site interessant a visiter, aux plans architectural et urbain. Mais au-dela du cadre urbain, il y a les gens, les travailleurs Sur ce point, Igartua a tres bien su montrer le c¦ur de la communaute naissante et l'organisation somme toute importante que la direction de l'usine a du developper pour atteindre rapidement une productivite maximale de la part des travailleurs, malgre les conditions de travail difficiles. Cependant, tout n'a pas ete fait et le conflit syndical de 1941 illustre bien qu'un groupe de travailleurs est pret a tout pour obtenir des meilleures conditions de travail et un salaire plus decent, meme en pleine guerre.
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Dany Cote. Review of Igartua, Jose E., Arvida au Saguenay: Naissance d'une Ville Industrielle.
H-Canada, H-Net Reviews.
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