Dominique Louis. Naissance d'un site urbain. Les avatars locaux des politiques nationales. Paris: L'Harmattan, 1996. 256 pp. ISBN 978-2-7384-4710-4.
Reviewed by Christian Montes (Department of Geography, University of Lyon, France)
Published on H-Urban (December, 1997)
Ce texte nous propose l'etude de la constitution et des transformations contemporaines du Tonkin, quartier de 10.442 habitants en 1990, situe a Villeurbanne, a la frontiere de Lyon, espace intermediaire entre les centres des deux villes, a l'Est du Parc de la Tete d'Or, parc a l'anglaise de Lyon. L'auteur, sociologue lyonnaise, en propose deux lectures, la premiere centree sur la genese d'un espace urbain, la seconde replacant son evolution dans le cadre des logiques nationales d'amenagement urbain. Le Tonkin se prete fort bien a une telle analyse. Ne en 1878 sous la forme d'un lotissement populaire sur des terrains appartenant au plus gros proprietaire foncier lyonnais, les Hospices Civils de Lyon [l'organisation qui gere les hopitaux lyonnais], ce quartier a connu a partir des annees 1950 des transformations radicales liees a la volonte--nationale--de resorber les ilots insalubres (le Tonkin s'etait alors fort degrade du fait de conditions foncieres particulieres), de moderniser les villes. Il a de meme suivi les avatars des politiques urbaines, refletant tour a tour le fonctionnalisme le plus rigide (1961), l'urbanisme en dalle (1970), le retour a la notion de centralite et la revalorisation de la rue (1978), puis la concertation et "l'affirmation symbolique du lieu" (1983, p. 170), liees a la volonte de donner de Villeurbanne une image moderne et prestigieuse. Il presente enfin la plupart des questions auxquelles les politiques urbaines sont confrontees: comment concilier relogement des anciens habitants et commerçants et transformation du quartier, comment cree une veritable "urbanite" dans un espace de renovation, comment experimenter dans un contexte contraint entre le droit, les normes imposees par le pouvoir central et les necessites financieres, comment associer les populations aux transformations, etc. L'auteur a privilegie une approche chronologique, qui presente les cinq principales "etapes" de l'evolution, avec d'utiles tableaux recapitulatifs (pp. 69, 91, 129, 167, 181 et 196). Elle rassemble ensuite les facteurs d'explication dans une derniere partie de 40 pages intitulee "Interpretation"; le fondement methodologique de ce travail est la notion de transaction, qui "induit une attitude de recherche ouverte sur les multiples aspects des enjeux urbains, leurs interpretations, leur mobilite. (...) On entend par transaction une situation de negociation diffuse entre la pluralite d'intervenants sur un enjeu commun, de maniere a mieux definir un certain nombre de regles de l'evolution" (p. 17).
Ce travail reflete les multiples questions propres a l'etude sociale de l'urbanisme:
* l'importance primordiale de la situation fonciere (propriete du terrain, type de bail, types de contrats avec les entrepreneurs immobiliers) sur les evolutions spatiales et sociales.
* les liens complexes qu'entretiennent la morphologie urbaine (ici fondee sur le damier, dont une breve analyse historique est proposee) et les donnees socio-economiques.
* les delicates relations nouees entre des idees et regles nationales voire internationales et les desirs des autorites et populations locales. La mise en regard du Tonkin avec les politiques d'abord parisiennes d'ilots insalubres (1958), puis de renovation, se revele utile, meme si elle reste peu poussee.
* la place des "experts" et des "modeles" (tel celui de "Germe de ville," de la ville nouvelle du Vaudreuil, pres de Rouen, presente p. 98) dans le déroulement des projets.
* les rapports entre les logiques privees et les logiques publiques.
Ce texte comporte toutefois un certain nombre d'insuffisances, qui en alterent la rigueur. Le style se revele trop souvent tortueux, tant dans l'abus de ruptures chronologiques et analytiques que dans le recours frequent a l'allusion. Le travail souffre aussi de coquilles (Lazare Goujon [maire de Villeurbanne dans les annees 30] se retrouvant souvent transforme en L. Gougeon, Charles Hernu [autre maire des annees 1970-1980] mourant le 30 decembre 1989 a la page 136 puis--justement--le 17 janvier 1990 a la page 178, la restaurant emblematique du Fais(ouz)an Dore, les baux emphiteotiques p. 209, mal expliques en outre), de l'absence systematique d'indication de page--voire de toute reference--aux citations, de l'absence de toute litterature grise dans la bibliographie, de l'absence de datation des photographies, ainsi que de quelques erreurs de chronologie (la politique des metropoles d'equilibre--qui date de 1964--citee a propos des plan de 1947 et 1951). Le parti chronologique se transforme souvent en une accumulation de donnees lineaire, qui mele diverses logiques, sociologique, historique, politique, au lieu de bien distinguer les niveaux d'analyse (processus de decision, partis urbanistiques et techniques, par exemple). Les acteurs sont certes presents, mais ne beneficient que trop rarement d'une analyse approfondie, a l'image du principal d'entre eux, la Societe d'Equipement de la Region Lyonnaise (SERL), Societe d'Economie Mixte chargee de la conduite du projet.
Cela peut etre du au statut particulier de l'auteur, impliquee dans le Tonkin a la fois en tant que sociologue en mission pour la SERL de 1971 a 1983 et en tant qu'epouse de l'un des principaux architectes-urbanistes du projet, Pierre-Andre Louis. Son analyse, qui oscille entre le "on," le "nous" et le "je," se rapproche parfois dangereusement de la volonte d'autojustification et tend a favoriser une analyse purement architecturale. L'auteur ne maitrise en outre pas veritablement l'histoire de l'amenagement urbain francais. De fait, l'analyse historique manque de profondeur, et omet certaines sources. C'est ainsi qu'ont ete laisses sous silence les rapports entre le projet de campus universitaire moderne de La Doua (seulement cite en tant que tel) et la renovation du Tonkin. Les archives de la Direction Departementale de l'Equipement montrent pourtant que des 1955, les architectes Perrin-Fayolle et Gages se preoccupent des deux espaces et produisent en 1956 un Plan Directeur du Quartier La Doua-Tonkin, avant d'en elaborer deux autres, avec l'urbaniste de Villeurbanne, Joseph Maillet, en 1961 et 1965 (plans que l'auteur ne cite pas). Cela montre que, alors que l'auteur pretend que 1970 serait la date du passage d'une logique privee a une logique publique (p. 219), le projet est eminemment etatique durant les années 1950-60, les plans d'urbanisme de detail se faisant largement sous l'egide du Ministere de la Construction et de ses administrations deconcentrees (qui prevoyaient parallelement une "Expressway" ecornant serieusement l'Ouest du Tonkin). Enfin, l'etude des annees 1970-80 se replie sur le quartier, oubliant bien des debats nationaux, ou se contentant de les citer (ainsi, le regain d'interet pour les centres anciens).
L'approche sociologique est elle meme parcellaire (statistiques peu nombreuses, enquetes tres partielles, cf pp. 189-194); ainsi, l'etude de l'image du quartier reste-t-elle floue et celle des projets precis (particulierement le Centre de la Petite Enfance, pp. 157-159 ou des Locaux Collectifs Residentiels, passim) ne permet que partiellement d'expliquer les difficultes rencontrees, qui sont aussi celles de l'instauration d'une "sociabilite" dans le quartier.
La troisieme partie entend s'attaquer au coeur de l'analyse et eriger le Tonkin en "cas de figure" a l'echelle nationale, alors que les 200 precedentes pages n'etaient, pour reprendre le mots de l'auteur, qu'une "description" (p. 201). Elle se revele cependant plus proche d'une sorte de tentative de poser la methodologie globale d'étude d'un aménagement. L'auteur se perd quelque peu dans de longues definitions (telles celles des ecarts, des limites, de la morphologie, de l'appropriation), des references (imprecises), qui restent en grande partie invocatrices; cela ne conduit pas a une reelle interpretation de l'evolution du Tonkin, ce d'autant que les approches proposees se juxtaposent sans former un tout coherent. Le recours aux parties precedentes est en outre obligatoire tant les reprises, sous forme d'allusions, sont nombreuses.
Au total, si l'on trouve dans cet ouvrage de nombreux faits et des idees utiles pour la comprehension du cas du Tonkin, on ne peut que regretter qu'il faille au lecteur tout un travail de recomposition et de recherches complementaires pour en saisir pleinement les fils. Le propos conclusif de l'auteur sur le quartier pourrait ainsi s'appliquer a son etude: "complexite dans une situation semi-structuree" (p. 246).
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Christian Montes. Review of Louis, Dominique, Naissance d'un site urbain. Les avatars locaux des politiques nationales.
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