Philippe Burrin. La France a l'heure allemande. Paris: Editions du Seuil, 1995. 560 pp.p. (paper), ISBN 978-2-02-031477-0; (paper), ISBN 978-2-02-018322-2.
Reviewed by François Jarraud (H-Francais editor)
Published on H-France (July, 1995)
En 1972 le livre de Robert O. Paxton (La France de Vichy, 1940-1944) avait profondement modifie notre connaissance de ce regime et de l'histoire de la France pendant ces quatre ann^Bes noires. Ce fut une revelation.
Le livre de Philippe Burrin est de meme importance. Nul doute qu'il rencontrera le meme succes et les memes critiques. Il n'efface pas le travail de Paxton mais le complete. Si Paxton s'etait interesse a la politique de Vichy, Burrin "s'efforce de reconstruire les manieres dont les Francais ont reagi a cette situation extraordinaire, de recon- stituer comment ils se sont comportes sous l'occupation et vis-a-vis de l'occupant" (p. 7).
P. Burrin observe comment l'ensemble de la societe francaise reagit face a cette situation nouvelle et inattendue : l'occupation. Celle-ci met a l'epreuve toute la societe, d'autant plus que l'issue de la guerre dans les premieres annees demeure incertaine et que le gouvernement legitime du pays s'engage dans la voie de la collaboration. Enfin, l'auteur observe que l'occupant tire le maximum de profit de cette situation, joue sur les esperances individuelles et les peurs, attire par ses largesses, terrorise par ses persecutions, pour diviser davantage la societe francaise.
Les pages consacrees a la politique du gouvernement de Vichy confirment les travaux de Paxton, ou ceux de Marc Ferro (Petain). L'auteur rappelle que l'Allemagne absorbe en 1942 un tiers du revenu national de 1938, puis la moitie en 1943. Des 1941, 10% du bl, 15% de la viande, 55% de l'aluminium, 90% du ciment, 80% de l'industrie aeronautique francais servent l'effort de guerre nazi. Des 1940, le gouvernement incite les entreprises de la zone libre a travailler pour l'Allemagne. Toujours en zone libre, Vichy livre les juifs internes, puis les juifs apatrides, dont nombre de Francais denaturalises. Enfin, des enfants juifs nes en France.
L'apport principal du livre reside dans l'etude des "accomodements" avec l'occupant. Pour cela, Burrin etudie d'abord l'opinion dans son ensemble, puis l'attitude des differentes couches sociales : clerge, patronat, intellectuels, scientifiques, artistes, collaborateurs.
L'etude de l'opinion montre qu'en zone occupee la collaboration est tot (1940) rejetee, le gouvernement critique. En zone libre l'influence de Vichy se fait sentir : Montoire inquiete, mais le renvoi de Laval peut faire croire, a tort, a un changement de politique. La victoire anglaise est esperee et attendue. Si en septembre 1940, les officiels allemands en visite dans cette zone observent que la population est generalement correcte, a l'ete 1941 ils sont frequemment insultes et observent que Vichy ne dispose plus que d'une base etroite. Cependant, si la grande majorite de la population est hostile a la collaboration, un courant favorable existe, soit par attirance vers le nazisme, soit par espoir d'une paix blanche, soit pour tenter de soutirer a l'Allemagne quelques avantages.
Cela n'empeche pas des contacts entre la population francaise et un occupant qui arrive parfois a faire oublier qu'il est un soldat. Il est bien difficile d'ignorer une presence qui finit par devenir habituelle, familiere. Des ilots de rencontre existent : cafes, logements, salons ... Ainsi le rapprochement "familial" aurait produit pres de 70.000 naissances entre 1940 et 1944.
L'auteur analyse la position de l'Eglise, amenee par sa fidelite a Petain a une attitude conciliante envers l'occupant. Citons Claudel dans une lettre au cardinal Gerlier a propos de l'enterrement du cardinal Baudrillart : "Pour l'emule de Cauchon, l'Eglise de France n'a pas eu assez d'encens. Pour les Francais immoles, pas une priere, pas un geste de charite". Apres 1942, l'Eglise comprend que l'Allemagne risque fort de perdre la guerre et que Vichy tombera. Pourtant elle reste fidele au regime, prudente avec l'occupant, et hostile a une resistance percue comme une menace pour l'ordre.
Les cadres patronaux ont ete choques par 1936. Ils accueillent favorablement le nouveau regime. Les Comites d'Organisation crees par Vichy suivent les incitations du regime a "collaborer" avec les firmes allemandes. Ainsi, en 1944, 14000 entreprises travaillent pour l'ennemi. Mais dans des conditions fort differentes. Si une partie du patronat est attiree en 1941 par l'idee de s'inserer dans une economie europeenne controlee par l'Allemagne, nombre d'industriels a partir de 1942 executent les commandes allemandes comme un pis-aller pour maintenir l'entreprise et proteger les salaries du STO. Certaines entreprises se distinguent aupres de l'occupant : Renault, Dubonnet, l'Oreal, E. Arden, certaines grandes banques ... D'autres resistent : Pechiney, Michelin ... Enfin, l'occupant s'entoure d'une cour de trafiquants en tout genre. Il cree ses propres entreprises : en 1944 500.000 francais travaillent pour l'organisation Todt ou la Wehrmacht.
Le monde de la science et des arts est appele lui aussi a cohabiter avec l'occupant. On y retrouve la encore un accomodement a plusieurs degres. Rares sont ceux qui s'engagent nettement pour l'occupant. Mais plus nombreux sont ceux qui acceptent de cotoyer l'occupant pour garder certains avantages ou certaines installations. Les historiens seront sensibles au cas de Lucien Febvre qui fera reparaitre (sous un autre nom) les Annales (notons que Marc Bloch participera a cette nouvelle revue sous un pseudonyme jusqu'a son arrestation).
Enfin, l'auteur consacre quelques chapitres a la poignee de Francais qui accepterent de se battre sous l'uniforme allemand ou qui participerent aux mouvements collaborationnistes (environ 11000 personnes). Il signale que ces engagements furent plus rares en France que dans les autres pays d'europe de l'ouest occupes.
Reste que ce livre derange. Il rappelle que "pendant au moins 3 ans, les Allemands ont reussi a maintenir le joug en reduisant au minimum les troupes chargees du maintien de l'ordre, ce qui permettait de renforcer les autres fronts, et d'exploiter efficacement les ressources economiques du pays" (p. 470). En 1944 pres d'un homme francais sur deux travaille directement ou indirectement pour l'Allemagne. Comme le dit l'auteur "cet apport massif, obtenu par la contrainte et l'intimidation, facilite par un interet evident des Francais a se nourrir, l'action des resistants ne pouvait pas le contre- balancer" (p. 470). Si la grande majorite des Francais s'est comportee dignement, "plusieurs millions ont suivi, pour un temps au moins, souvent avec resignation ou scepticisme, la politique de collaboration du gouvernement ... Plusieurs centaines de milliers ont ete s'embaucher aupres de l'occupant ou solliciter des commandes" (p 471-472). Les couches aisees paraissent avoir ete plus touchees que les milieux populaires. L'ennemi a su exploiter les divisions de la societe francaise, fragilisee par l'attitude de Vichy. L'Union sacree de la premiere guerre mondiale ne s'est pas retrouvee. Ce n'est pas seulement une France divisee qui sort de la guerre. C'est, pour P. Burrin, un pays qui s'est accomode de l'occupation, meme s'il souhaitait la defaite allemande dans sa grande majorite.
Paxton avait reussi a detruire le mythe d'un Petain "bouclier" de la France. P. Burrin nous offre un portrait nuance d'un pays occupe et de Francais essayants de survivre.
Est-il acceptable pour la Grande Nation de penser que s'il "est honorable d'etre un heros, il n'est pas deshonorant de ne pas en etre un"? (p. 471).
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François Jarraud. Review of Burrin, Philippe, La France a l'heure allemande.
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July, 1995.
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